Le jardin Botanique de Bali est caché entre les montagnes de Bedugul et le lac Beratan, dans la région de Tabanan au centre de Bali. Méconnu, il est pourtant le plus grand jardin botanique d'Indonésie. Ouvert à la fin des années 1960s, ses 158 hectares sont couverts de jardins et de jungle: un endroit que l'on pourrait qualifier de presque magique, niché dans l'un des endroits les moins connus de Bali. Visiter le Jardin Botanique de Bali est une expérience singulière, un curieux chemin de découvertes.
Alors que je parcourais le trajet long de 4 heures pour atteindre Munduk, au Nord d'Ubud où je me trouvais la veille encore, je suis passée par Bedugul, ce petit village sur les rives du lac Beratan. J'ai été surprise de voir à quel point il était animé et vibrant de vie: le traffic n'étais pas dense mais les scooters klaxonnaient dans toutes les directions (comme c'est le cas dans la plupart des endroits à Bali) et les gens se mélangeaient au bord de la route, entre les stands de nourriture et les étalages de fruits tropicaux fraichement cueillis. En rétrospective, je regrette de n'avoir pris aucune photo de cet arrêt éphémère sur mon chemin - j'ai tendance à devenir trop fascinée par la route pour penser à sortir mon appareil photo.
Le lendemain, j’ai demandé à mon guide de me ramener à cet endroit. Je n’arrivais pas à oublier le grand panneau annoncant «Jardin Botanique de Bali - Kebun Raya Bali" que j’avais remarqué en roulant au travers du village. En tant que biologique, je ne pouvais imaginer ne pas explorer un jardin botanique s’il m’était donné d’en découvrir un au grès de mes aventures.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à descendre de la voiture sous un ciel nuageux, un après-midi d’été humide. Il venait juste de s’arrêter de pleuvoir : l’herbe était encore recouverte des minuscules gouttes d’eau et l’air semblait si pur. La première impression que j’ai pu avoir fut celle qu’il me semblait être seule au milieu de nulle part. La seconde, après avoir emprunté la route principale montant jusqu’à la Statue des Singes, fut à quel point cet endroit était en réalité immense.
Au centre de la route, faisant fit d’un « Bienvenu » dans les jardins, se dresse une haute statute appelée la sculpture Kumbakarna Laga. Elle représente Kumbakarna, un personnage de l’épopée Hindoue Ramayana, en train d’être attaqué par l’armée de singes de Rama. Voyez-vous, dans cette épopée, le démon Ravana a kidnappé l’épouse de Rama, et Rama n’étais pas particulièrement heureux de ce revirement de situation : en tant que protecteur désigné du démon, Kumbakarna a combattu pour repousser les singes. Et très honnêtement, il se peut que la statue vous effraye quelque peu : peut-être est-ce dans la manière dont ses yeux reflètent la colère d’un soldat vaincu, où dans les canines un peu trop bien aiguisées des singes l’attaquant.
En marchant ensuite au travers de l’arboretum, et ses conifères géants qui vous entourent de leur présence apaisante, il est facile de se demander si vous n’êtes pas dans une toute autre époque, perdu quelque part dans l’ère Jurassique. Les allées sont silencieuses, luxuriantes avec l’herbe trempée par la pluie et les nuances de vert qui se mélangent dans les branches des arbres.
Plus de 21 000 spécimens appartenant à 2400 espèces de plantes sont conservés dans les jardins. Et c’est sans compter les nombreux autres spécimens préservés dans l’herbarium. Des orchidées, bégonias, bambous, fougères, roses… provenant de toute l’Indonésie et des îles et pays frontaliers.
Un des endroits m’ayant marqué un peu plus que le reste est sans doute le Jardin des Plantes Médicinales. Alors que nous nous baladions un peu plus loin dans les profondeurs du jardin, sa partie bordant la forêt et les hauts banians reliés entre eux par un enchevêtrement de lianes, nous sommes arrivés dans une partie très paisible du lieu. Il n’y avait personne d’autre. En réalité, assez surprenamment, presque personne n’étais présent dans toute l’étendue du Jardin Botanique.
Là, au milieu d’arbres atteignant le ciel, se trouvait une arche en pierres, ressemblant à l’étrange passage vers un autre monde, un endroit sorti tout droit des livres fantastiques. Un chemin de dalles en pierre y conduisait, et de chaque côté, de nombreuses variétés de plantes médicinales. Alors que l’on avançait sur le petit chemin, mon guide me traduisait tous les noms Indonésiens que l’on rencontrait. Racines de gingembre, curcuma, Fleur de Cananga, Sambucus… Près de cinq cent espèces et sous-espèces étaient plantées là (mais nous ne les avons bien évidemment pas toutes observées). Mon guide m’a alors expliqué qu’à Bali, les guérisseurs traditionnels sont appelés Balians: ils travaillent avec les plantes médicinales pour guérir ce qui s’étend des petits maux aux cancers de phase terminale. Ils sont profondément respectés à Bali. Et dans la majorité des cas, vous vous demanderez s’ils ne sont pas de véritables magiciens. « Tu sais, on a dit à ma sœur qu’elle allait devenir aveugle, et sa maladie a été guérie par un Balian. Cela a pris plusieurs mois, mais ça fait des années maintenant. Elle est complètement guérie, elle peut voir. » m’a raconté mon guide. Ses yeux sont devenus un peu plus brillants, et je me suis sentie un peu plus émue. La nature a réellement tant à nous apprendre.
En continuant de marcher au travers des allées du jardin, et en gagnant les grandes serres, une étrange – presque inconfortable – sensation s’est immiscée en moi. Quelque chose dans le fait que tout semblait avoir été abandonné, anormalement laissé pour compte comme si plus personne ne se préoccupait de l’endroit. Un peu plus loin dans le parc près de l’entrée du jardin, des enfants jouaient et riais, mais ici, certaines pierres étaient cassées, d’autres couvertes de mousse. L’eau des fontaines – ne coulant plus – était verdâtre, trouble, et la plupart des parterres de fleurs étaient envahis de mauvaises herbes. Les serres étaient fermées, elles aussi, et même scellées avec chaînes et cadenas. Leurs fenêtres troublées. Cela semblait quelque peu, si vus oubliez les oiseaux qui gazouillaient et portiez votre attention sur la brume qui entourait la jungle, comme la fin du monde. Une post-apocalypse paisible, silencieuse, et ordonnée.
Je garde ce souvenir envoûtant du Jardin Botanique – en partie car je me suis sentie désorientée à marcher dans ses inhabituelles allées, et car ses fleurs cachées et ses hauts arbres étaient beaux à en couper le souffle. Lorsque j’ai regagné mon hôtel dans les collines au dessus des nuages, j’ai cherché des réponses à pourquoi la moitié de l’endroit semblait être abandonné – cette partie plus loin des yeux du public. Qu’est-il arrivé au célèbre jardin des orchidées ? Où sont les dizaines de bégonias promis aux visiteurs ? Mais je n’ai pu trouver aucune information. Ma meilleure hypothèse était, comme ce fut le cas à de nombreux autres endroits sur l’île, que la pandémie fut trop dure pour l’économie de la région – et en conséquence, la maintenance de certains endroits plus reculés. C’est une conclusion à la fois douce et amère à laquelle parvenir : d’un côté, l’ordre qui devient désordre, mais de l’autre côté, la nature qui reprends en quelques sortes ses droits. Et la nature n’est elle pas sous son meilleur jour lorsque laissée sauvage et indomptée?
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